Artiste-philosophe multimédia, Hervé Fischer a initié l’art sociologique et pratique aujourd’hui le tweet art et la tweet philosophie. Son travail a été présenté dans de nombreux musées internationaux et biennales. Le centre Georges Pompidou lui a consacré une rétrospective, Hervé Fischer et l’art sociologique, en 2017. Pionnier du numérique au Québec, il a fondé en 1985 la Cité des arts et des nouvelles technologies de Montréal, le premier Café électronique au Canada, le Marché international du multimédia, la Fédération internationale des associations de multimédia, le festival Téléscience, Science pour tous. Ses recherches portent sur l’art, la sociologie des couleurs, le numérique, les imaginaires sociaux, l’hyperhumanisme. Il a conçu le médialab québécois Hexagram. Il a publié entre autres Théorie de l’art sociologique (1977), L’Histoire de l’art est terminée (1981), Le choc du numérique (2002), CyberProméthée, l’instinct de puissance (2003), La planète hyper, de la pensée linéaire à la pensée en arabesque (2004), La société sur le divan (2007), L’Avenir de l’art (2010), La divergence du futur (2014), La pensée magique du Net (2014), Market Art (2016), Les couleurs de l’Occident. De la Préhistoire au XXIe siècle (2019), L’Âge hyperhumaniste. Pour une éthique planétaire (2019). Il a fondé la Société internationale de mythanalyse.
On distingue les IA faible et forte, mais beaucoup croient que la faible est déjà si performante que la forte lui succèdera incessamment. L’IA faible ne nous pose pas de problème métaphysique: aussi gigantesques que soient ses résultats, ses extensions, ses défis informatiques et humains dans nos gouvernes sociales, elle ne sera jamais plus que de l’intelligence humaine assistée par ordinateur. Les ordinateurs quantiques en multiplieront la puissance et la capacité d’auto-apprentissage profond, mais l’IA faible n’aura jamais conscience de ses processus ni d’émotion décisionnelle. Ces attributs que l’imaginaire humain lui confèrent naïvement la rendrait inopérante. Un bog, mais pas de singularité informatique quoiqu’en disent les entrepreneurs gourous du posthumanisme. L’IA forte, tout au contraire, qui prétend voir émerger des intelligences artificielles capables de conscience et d’émotions, qui nourrit la science-fiction, ces sortes de « machines spirituelles » désespérément espérées par Ray Kurzweil, constituent une fabulation toxique qui relève de la thérapie mythanalytique. Y croire, c’est désirer sa propre mort !
La mythanalyse postule que tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais il faut savoir choisir ses fabulations et éviter les hallucinations. Jadis, le temps collait à l’existence comme le réel colle aux yeux et créait la sensation ordinaire de la vie. Mais aujourd’hui son accélération le détache du quotidien. Il efface le présent comme des fichiers numériques, il nous projette dans le futur fabulatoire. Désormais au cœur de l’aventure humaine. Les passéistes attendent avec fatalisme l’apocalypse, tandis que les prophètes intégristes du numérique qui dénoncent l’obsolescence de l’homme de carbone, annoncent notre mutation dans le silicium du trans- et du posthumanisme. Ces promesses cyber-prométhéennes de puissance ont remplacé les utopies politiques du XIXe siècle. Niant notre instinct de vie et la fragilité de la nature, qui est aussi la nôtre, elles ne feront pas mieux. Nous leur opposons un technohumanisme numérique alternatif : l’hyperhumanisme. Hyper pour plus d’humanisme et pour la multiplication des hyperliens numériques en temps réel qui créent notre conscience augmentée, et l’éthique planétaire : un progrès humain beaucoup plus incertain que le progrès technologique, mais beaucoup plus déterminant pour notre avenir.
Le progrès est un concept très large. Je parlerai ici du progrès collectif, un mythe instauré par la Révolution française, à la fois humain, résumé par la Déclaration des droits universels de la personne et la trilogie Liberté, Égalité, Fraternité, et technoscientifique, formulé par Condorcet, Auguste Comte, qui nous gouverne depuis le début de la révolution industrielle, notamment les usages de la machine à vapeur, de l’électricité, du nucléaire, maintenant du quantique, des énergies fossile et renouvelables, bref fondé sur les progrès de l’énergie elle-même, décarboné et abondante. Ce progrès de l’énergie est vieux comme le monde, comme le vent et le feu que Prométhée vola à Zeus et donna aux hommes, ce dont il fut cruellement puni. Nous voyons bien que dès l’origine le feu est l’énergie, le moteur du progrès technologique d’Homo fabricator, mais aussi qu’il est lié à la punition, au mal, au danger, et aujourd’hui encore. Nous en avons besoin et en même temps elle nous menace. Comment gérer bénéfiquement cette menace de plus en plus puissante ? L’écarter de nous, c’est le grand problème actuel. Nous cherchons dans la transition énergétique une solution difficile, mais durable. L’enjeu est donc à la fois pratique au niveau des usages et prend force mythique sur la destinée de l’espèce humaine, qui pourrait s’autodétruire.