Aurélien Alvarez est mathématicien à l’ENS de Lyon. Ses thématiques de recherche concernent la théorie des systèmes dynamiques, en particulier à travers l’étude de la topologie et de la géométrie de certaines équations différentielles algébriques. Rédacteur en chef de la revue en ligne Images des mathématiques et co-auteur des films Dimensions et Chaos, il s’intéresse également à la formation continue des professeurs d’école et du secondaire et participe à de nombreuses activités de médiation notamment à la Maison des mathématiques et de l’informatique de Lyon.
Entre 1895 et 1904, Henri Poincaré a fondé la topologie algébrique (alors appelée Analysis situs) en publiant une série de six mémoires révolutionnaires. Ces textes fondateurs sont écrits dans le style inimitable de Poincaré : les idées abondent... et côtoient les erreurs... L’ensemble représente un peu plus de 300 pages de mathématiques exceptionnelles et, 120 ans plus tard, le contenu de ces mémoires reste non seulement d’actualité mais constitue un passage très recommandé pour tout apprenti topologue. Aujourd’hui la topologie est un domaine de recherche à part entière et intervient partout en mathématiques. Avec des applications allant bien au-delà des mathématiques théoriques comme par exemple dans l’analyse topologique des données, une approche méthodologique au cœur des « big data ».
Il y a peu de concepts mathématiques qui percolent au-delà de la sphère scientifique. L’effet papillon est un contre-exemple et on le croise en littérature, au cinéma, dans des spots publicitaires... On retient en général qu’une petite perturbation est susceptible d’engendrer de grandes conséquences. Mais la théorie du chaos, principalement élaborée dans la deuxième moitié du XXe siècle va bien au-delà et offre des outils théoriques et pratiques quand d’autres s’en remettent au simple bon vouloir du hasard. Les mathématiciens du XXIe siècle ont fait des conjectures précises du comportement typique d’un système dynamique : des mouvements périodiques des Anciens, on est progressivement arrivé à l’idée qu’en général il doit y avoir coexistence entre chaos et stabilité statistique, un phénomène absolument remarquable.
Certaines branches des mathématiques se prêtent bien aux dessins et l’on sait, au moins depuis Descartes, que « la géométrie est l’art de raisonner juste sur des figures fausses ». Souvent donc, un dessin vaut mieux qu’un long discours pour faire passer une idée, même si chez certains auteurs, on se fait un point d’honneur à ce qu’il n’y ait aucune illustration ! L’arrivée des ordinateurs a permis aux amateurs enthousiastes de se lancer eux aussi dans l’aventure, et l’on n’hésite pas à parler aujourd’hui d’art fractal pour ne citer que cet exemple emblématique. Si les illustrations sont bien souvent un excellent vecteur de communication et un très bon support pour l’enseignement, les images numériques peuvent également être un outil au service des mathématiciens pour leurs propres travaux de recherche, notamment lorsque celles-ci suggèrent que tel fait mathématique plutôt que tel autre semble être vrai : on a alors là une piste pour ensuite chercher à démontrer le bon théorème !
Artistes, amateurs de science-fiction, mais aussi ingénieurs, physiciens et mathématiciens, la quatrième dimension est un concept intriguant et fascinant. Aujourd’hui les mathématiciens jonglent facilement avec les espaces de dimension 4 qui surgissent naturellement dans de nombreuses situations. En introduction de son célèbre mémoire de 1895 sur l’Analysis situs, Poincaré écrivait : « La géométrie à n dimensions a un objet réel ; personne n’en doute aujourd’hui. Les êtres de l’hyperespace sont susceptibles de définitions précises comme ceux de l’espace ordinaire, et si nous ne pouvons nous les représenter, nous pouvons les concevoir et les étudier. » Loin d’être un jeu de l’esprit, il n’a pas fallu longtemps après Poincaré et les travaux des mathématiciens du XIXe siècle pour qu’Einstein élabore son époustouflante théorie de la gravitation, une théorie géométrique de l’espace-temps.
Tout autour de nous des symétries : que l’on pense aux ailes du papillon, à certains cristaux ou encore aux mosaïques de l’Alhambra de Grenade. Le monde mathématique regorge lui aussi de symétries, parfois évidentes comme celles du carré ou de la sphère, mais également de symétries bien plus mystérieuses et fascinantes. Il a fallu attendre le XIXe siècle pour voir émerger le concept de groupe, un concept devenu omniprésent dans toutes les mathématiques, et qui formalise l’idée de symétries. Quand on connaît un peu de théorie des groupes, on comprend par exemple beaucoup mieux les mouvements qui permettent de résoudre un Rubik’s cube, les symétries des équations algébriques, la géométrie, etc. Pour des raisons encore largement mystérieuses, des liens extrêmement profonds semblent exister entre certaines symétries de nature arithmétique et l’analyse harmonique, un domaine des mathématiques qui est née des travaux de Fourier autour de l’équation de la chaleur.
Une nouvelle thématique de recherche est en pleine effervescence ces dernières années, la théorie homotopique des types, à la croisée entre mathématiques, informatique théorique et logique. Le sujet est véritablement intriguant, d’autant qu’il interroge jusqu’aux fondements des mathématiques, directement en lien avec un autre sujet qui lui a des retombées jusque dans l’industrie : la certification de preuves et de programmes. Certifier un programme revient en quelque sorte à apporter la preuve de la preuve via une vérification mécanique pas à pas, et c’est précisément la raison d’être d’un logiciel comme Coq qui se manipule presque comme un jeu vidéo dans lequel le joueur doit démontrer des buts à partir des hypothèses dont il dispose et d’un arsenal de tactiques. Mathématiques tout à fait passionnantes et quelque peu déroutantes, mais sensations garanties !