Thierry Pozzo est professeur de neurosciences à l’université de Bourgogne et membre honoraire senior de l’institut Universitaire de France. Son projet de recherche consiste à étudier les principes d’organisation de la motricité humaine et à identifier les mécanismes physiologiques sous-jacents. Les axes développés tiennent compte de récentes avancées en neurosciences qui suggèrent un étroit couplage entre Action et Perception. Il soutient l’hypothèse que la cognition s’ancre dans le vécu corporel des individus et dépend du système moteur contrairement à la métaphore du cerveau calculateur. Enfin, l’étroitesse de ces questions et les normes imposées par la science l’ont convaincu depuis plusieurs années d’étendre sa réflexion au domaine de la perception des images et aux contaminations réciproques entre Art et Sciences. Cette partie de ses activités se déroulent dans le cadre de l’organisation d’événements de vulgarisation scientifique au sein de l’Espace Marey, une plateforme en partie dédiée à faire découvrir les travaux du savant bourguignon du même nom.
« Il existait un homme naturel : on a introduit au dedans un homme artificiel et il s’est élevé dans la caverne une guerre civile qui dure toute la vie », écrit Diderot. Une tradition occidentale considère les conséquences sensorielles de l’action comme le monde d’en bas qui fait obstacle à la raison. Une perspective différente qui s’appuie en partie sur des faits expérimentaux en neurophysiologie démontrant le rôle structurant des mouvements volontaires dans la prise de décision, l’apprentissage et la connaissance est néanmoins envisageable. Au cours de cette intervention le « Je pense donc je suis » (Descartes) qui isole la pensée de l’expérience vécue sera confronté au « je suis mon corps » (Merleau-Ponty) pour lequel la cognition commence par la sensori-motricité.
Depuis les années 1980, une révolution silencieuse a bouleversé nos connaissances sur le cerveau et la cognition : penser, percevoir et agir ne sont plus considérés uniquement comme des états cérébraux ayant recours au langage et au raisonnement logico déductif mais comme la manipulation mentale implicite d’actions. Autrement dit Action, Cognition et Perception relèvent de mécanismes et de substrats nerveux partagés : penser c’est rejouer une expérience vécue ; reconnaitre un objet avant de le nommer c’est évoquer les effets sensoriels de son utilisation. Le corps n’est pas un ensemble d’accessoires périphériques, d’effecteurs en bout de chaîne décisionnelle, comme dans la parabole de l’esclave qui moule la brique selon les recommandations du maître mais le corps est matière et pensée. Une preuve indirecte de la présence continuelle du corps dans la pensée est le cas du membre fantôme. Même lorsque l’amputation d’un membre prive de la matière, la pensée la reconstruit mentalement. Mais percevoir et connaître se construisent ils uniquement au sein de matières vivantes ? Comment ces diables de machines sans bras ni jambes perçoivent-elles et vivent-elles le monde ? Autrement dit une intelligence sans corps (artificielle) est-elle possible ?
L’essor des sciences du mouvement en France ces 20 dernières années a sans aucun doute fait progresser la formation des sportifs de haut niveau. La reconnaissance académique de cette discipline a été possible grâce à l’apport d’autres champs de recherche plus anciens comme ceux appartenant aux sciences de l’inerte. Ces rapprochements ont permis de dégager des grilles de lectures systématiques ainsi qu'une approche modélisée. La contrepartie de cette proximité enrichissante a néanmoins favorisé la normalisation des phénomènes observés et contribué à effacer les différences interindividuelles souvent considérées comme du bruit de mesure. Un des objectifs de cette conférence est de convaincre les auditeurs que la description de la motricité sous forme de lois motrices générales est une limite à notre compréhension du vivant. L’excellence sportive ne se traduit-elle pas en effet par une production gestuelle singulière et un style qui fait le champion et le distingue de la tendance ordinaire ? L’analyse des qualités et des singularités peut-elle compléter celle des quantités ? Une conception de la performance sportive qui évite les prototypes est-elle envisageable ?