Leila Schneps a obtenu son B.A. en mathématiques de l’université de Harvard en 1983, et a fait ensuite sa thèse à l’Université de Paris, devenant par la suite directrice de recherche au CNRS. Bien que son domaine de recherche soit avant tout les mathématiques pures, elle s’intéresse depuis quelques années à la manière dont les mathématiques sont utilisées dans les procès criminels et aussi dans les diagnostics médicaux, deux domaines où une enquête approfondie révèle des erreurs sérieuses commises à cause de malentendus ou mauvaise utilisation des probabilités. Avec Coralie Colmez, elle a publié un livre intitulé Les Maths au Tribunal (Le Seuil, 2015), qui raconte une dizaine de cas d’erreurs mathématiques qui ont mené à des erreurs judiciaires, depuis la fin du 19ème siècle jusqu’à nos jours. Depuis lors, elle est engagée auprès de la gendarmerie française dans l’introduction des méthodes des réseaux bayésiens et de l’intelligence artificielle dans la communauté des enquêteurs de la recherche criminelle ; elle travaille aussi à rendre public le problème de la rigidité du diagnostic du syndrome du bébé secoué, qui utilise des interprétations erronées de résultats d’études médicales pour automatiquement attribuer certains symptômes à des actes de violence, ce qui mène à l’arrestation immédiate des parents et à la destruction de familles.
Parmi les affaires judiciaires, il en est d’un type très particulier, mais assez fréquent : celles qui sont quasiment dénuées de preuves concrètes. On peut constater par exemple un ou plusieurs décès, sans aucune preuve directe, qu’il s’agisse de meurtre ou pas. Dans de tels cas, l’accusation se base fondamentalement sur le principe de probabilité, en affirmant que si l’accusé était vraiment innocent, nous serions confrontés à une coïncidence par trop improbable. C’est alors que devient cruciale la question de calculer correctement la probabilité d’une telle coïncidence. Ce faisant, on a parfois d’authentiques surprises ; nous oublions facilement que nous vivons parmi des millions d’autres êtres humains et que dans une telle population, tout ce qui peut arriver arrive. Puis une fois cette probabilité calculée, aussi petite soit-elle, il ne faut pas oublier de la comparer avec celle que l’accusé ait commis les crimes dont il est accusé – car le meurtre est rare, lui aussi ! Une erreur classique consiste à supposer que si la probablité d’un événement est minuscule, et qu’il se produit quand même, “quelqu’un a fait exprès”. Ces illusions et ces fausses intuitions mènent régulièrement à des erreurs judiciaires regrettables.